Dans son article du 11 octobre 2015, Kara Pernice relate longuement son expérience de l’iPhone, au regard de sa vie personnelle et familiale.
Un détail agaçant a réveillé chez elle certains questionnements liés à ce simple objet : impossible pour son fiancé de reconnaître la couleur de son téléphone.
La confusion entre la couleur de la coque de protection et celle de son téléphone semble pour elle quelque chose de terrible, presque ontologique. Elle en vient à s’interroger sur les réactions possible de sa grand-mère, de Steve Jobs et d’Erma Bombeck sur ce dilemme : doit-on utiliser l’iPhone avec ou sans coque de protection…? Elle mentionne aussi le fait qu’elle ne peut emporter son iPhone partout sans risque et qu’il est donc indispensable de protéger ce bel objet fragile par cette coque qui masque son design. Elle suppose que, si la forme définitive du téléphone ne suit pas parfaitement la fonction (il n’est pas étanche, il comporte du verre qui casse aisément, …), c’est parce que, essentiellement, Apple n’a pas l’intention de le faire ou n’a pas besoin de le faire (bien qu’ils seraient toutefois capables de le faire).
Le sujet ne semble pas si anodin qu’il en a l’air.
En, 2014, Tom Hermans m’a longuement exposé son aversion pour les protections de gsm, celles-ci masquant tout l’effort du designer pour réaliser un bel objet. Quel intérêt d’acquérir un beau téléphone qui révèle un statut social, un goût pour l’esthétique, le raffinement, si c’est pour dénaturer immédiatement sa forme? Cela me rappelle les véhicules tunés rendus hideux par la pose de multiples extensions, sortes de kystes apposés sur les carrosseries.
Le problème des personnes s’intéressant à l’expérience-utilisateur est parfois ce besoin perspectiviste de comprendre le monde uniquement en regard de l’optimisation, de la rationalité, de l’efficacité. Le marketing des produits de consommation n’impose pas la perfection. Il présente un objet voire un service imparfait comme un idéal à atteindre, en omettant consciemment une série de détails qui pourraient entraver l’adhésion au message proposé. Il veut susciter le désir, le sentiment d’appartenance, la fierté de la possession qui confère un statut imaginaire ou supposé. L’objet ainsi façonné est donc enraciné dans les simulacres liés à des modèles de conformité sociale.
La beauté est synonyme de pureté esthétique et des matériaux employés : simplicité des lignes, fluidité, finesse, élégance, transparence, rareté, …
Je constate souvent que les « beaux objets » pèchent régulièrement par leur mauvaise préhension, leurs matériaux glissants, leur ergonomie toute relative.
La dénaturation du design d’origine, par l’ajout d’accessoires tels qu’une coque de protection par exemple, permettra parfois de combler les lacunes de ces designs minimalistes.
Un bon designer tente toujours d’ôter. Jamais de rajouter. C’est l’utilisateur qui, une fois le bien possédé, lui donne sa forme définitive et autorise ou non sa visibilité. Mais dès lors, pourquoi acheter un objet onéreux et beau, si c’est pour le cacher? On retombe immanquablement sur le marketing, l’adhésion consciente ou inconsciente à un modèle commercial, mental, social et la notion de trésor caché.
Quand la forme ne suit pas la fonction, le designer passe du temps à être un artiste. Il oublie la fonction pour se concentrer sur le beau. L’utilisateur choisit d’accepter ces défauts ou de les refuser. Jusqu’ici, Apple a réussi son pari et à rester en équilibre face au besoin des consommateurs (hormis la question du prix qui ferait sans doute l’objet d’un long débat)…
Ces oscillations dans l’équilibre de la forme et de la fonction sont savamment dosées, étudiées. Un téléphone qui ne servirait qu’à être regardé n’aurait plus de raison d’être nommé « téléphone » et un téléphone purement fonctionnel, dénué de toute esthétique, n’aurait sans doute plus aucun attrait. A moins que de créer un registre à part, comme le merveilleux presse-fruits dessiné par Philippe Starck pour la firme Alessi : un objet totalement inutilisable et superbe à regarder…